ANR HYCI
Responsable LIMOS : BARRA VincentDébut du projet : 7 juin 2024 - Fin du projet : 7 juin 2025
Le projet Hyper-lieux, Crises, Migrations et Inégalités (HYCI) propose d’analyser, au prisme de deux crises majeures (crise de l’asile, 2015-2016 et crise sanitaire de la Covid-19), les interactions entre les migrations internationales et les inégalités qui leurs sont attachées.
I. Contexte,positionnementetobjectif(s)delapré-proposition
Le contexte de la proposition s’inscrit dans les réactions paradoxales des États, qui, malgré le besoin économique d’une mobilité globale plus fluide, continuent, néanmoins à promouvoir la fermeture des frontières et l'exclusion des migrants. Dès lors, on peut mettre en doute l'hypothèse d'une convergence libérale de la gouvernance des migrations (Rosenblum and Cornelius 2012 ; Cornelius, Martin, and Hollifield 1994) qui postule que les politiques migratoires seront de plus en plus ouvertes et de plus en plus fondées sur le droit en général, et les droits des migrants en particulier. A l’inverse, HYCI défend l'idée que cette convergence développerait une approche sécuritaire, inégalitaire ou conditionnelle de l’accès à la mobilité et aux droits pour les migrants.
Deux registres d’inégalités seront donc analysés : les inégalités spatiales et les inégalités des droits sous l’effet de l’opérationnalisation de la gouvernance des migrations. L’objectif est de comprendre l’articulation entre les niveaux d’organisation socio-politiques des migrations et l’adaptation des stratégies des migrant-e-s dont le vécu traduit leur état de vulnérabilités, leurs capabilités (Nussbaum, 2012) et leurs possibles résiliences sociales et territoriales. La relation migrants-territoire sera interrogée dans les hyper-lieux mondialisés qui séquencent et structurent les parcours migratoires selon des temporalités et des échelles spatiales variables. Dans cette perspective, HYCI explorera la circulation des discours entre les niveaux de gouvernance (international, régional, national, local) et entre les acteurs impliqués (États, institutions internationales, agences internationales, associations, municipalités) dans les processus d’opérationnalisation. L’objectif est de décrire cette interaction multiscalaire et la façon dont elle influence l’attitude de ces acteurs et celles des migrants (demandeurs d’asile, réfugiés, migrants réguliers/irréguliers, mineurs isolés, victimes de traite). Il s’agit de définir comment ces productions catégorielles entrent en discordance avec les projets des migrants, générant ainsi des processus d’inégalités, du fait des tensions entre logique sécuritaire et respect du droit, de l’évolution des représentations qui sous-tendent les traitements inégalitaires et de leurs effets sur les séquences des parcours migratoires (départ, transits, arrivée, retour).
Ces questions seront abordées à partir de bases de données hétérogènes (statistiques, textuelles et photographiques). HYCI combinera les SHS et l’Intelligence Artificielle (IA) afin de renouveler la représentation de l’intertextualité des discours et celle des connaissances sur les migrations. Depuis le début des années 2000, de nouvelles formes cartographiques ont émergé dans les domaines croisés de la science, de l’art et du militantisme. L’IA ouvre à son tour de nouvelles approches critiques des cartes et un nouveau champ de modélisation des migrations internationales, des parcours migratoires en particulier, avec des outils d’extraction de connaissances, issues des domaines de l’apprentissage automatique, de la fouille de données, du traitement du langage naturel et de l’image.
II. Positionnementduprojetparrapportàl’étatdel’art
HYCI propose une analyse, des parcours migratoires au niveau meso et de l’expérience des migrants au niveau micro, et ce, en lien avec des échelles de gouvernance internationales, nationales, régionales et leurs effets locaux. On considère que la succession des crises, de l’asile et sanitaire, a renforcé une régulation de plus en plus inégalitaire des mobilités. Le projet s’inscrit donc dans le triptyque suivant : • La divergence d’approche de la gouvernance et des droits des migrants entre les échelles (nationale, régionale et internationale) s’accentue avec les crises. Au niveau international, les deux « Pactes » adoptés en 2018 pour les réfugiés et les migrations jettent les bases d’une coopération multilatérale, fondée sur l’accès aux droits de tous les migrants sans discrimination. Au niveau national, des politiques orientées vers un contrôle accru créent des inégalités. Au niveau local, associations et collectifs citoyens s’impliquent dans l’accueil. On observe alors une tension croissante entre les niveaux scalaires de gestion des migrations : reconnaissance aux échelles internationale et locale et régimes de droits inégalitaires aux niveaux national et régional.
• Les inégalités d’accès à l’espace s’exacerbent : la globalisation et l’essor des migrations, observés au cours des années 1990-2000, ont été ralentis par la crise économique de 2009, tandis que la crise de l’asile et celle de la COVID ont accéléré la fermeture de frontières au Nord, alors que parallèlement les migrations entre les pays du Sud dépassent les migrations Sud-Nord depuis 2008. La configuration postcoloniale centre/périphérie, semble graduellement remplacée par une configuration régionalisée, avec une augmentation relative des migrations internes et intracontinentales.
• La production des catégories juridiques et politiques de gestion de migrants (demandeurs d’asiles, réfugiés, migrants réguliers/irréguliers, mineurs isolées, victimes de traite, etc.) contredit l’expérience vécue des migrant-e-s : une perspective étique de la migration qui imprègne les politiques institutionnelles, enferme les migrants dans la figure de travailleurs utiles et de première ligne, de victimes passives ou d’envahisseurs menaçants (Maneri, 2021). La diffusion de ces motifs renforce les inégalités de traitement des migrants. Elle entre en dissonance avec une perspective émique bâtie sur des catégories construites sur les situations vécues et jusque-là invisibilisées. Les migrants pris en étau entre ces régimes seraient dès lors soumis à des attentes contradictoires qui affectent leur expérience et leur psychisme (Petit, 2018).
Le projet HYCI s’inscrit, enfin, dans la continuité de ceux menés précédemment par les chercheurs du consortium (AniAge, MIPRIMO, QDOSSI-Défi Mastodon), en complétant les programmes internationaux actuels (Magyc, Monash, MigNex).
III. Présentationdelaméthodologieutiliséepouratteindrelesobjectifsduprojet
HYCI combine l’Intelligence Artificielle (IA) aux SHS afin d’intégrer des corpus multi-sources rarement traités ensemble. HYCI explore cette perspective dans un champ d’étude émergent, celui de l’association des analyses textuelles et photographiques attachées aux récits et aux représentations de la migration (Mersmann, 2019). L’innovation réside dans la conception des processus d’inégalités analysés par la comparaison de catégories de relation entre des éléments textuels issus des discours et les motifs iconographiques qui les illustrent, les deux étant liés de manière itérative par apprentissage. Il s’agit de développer des prototypes logiciels qui répondent à trois objectifs : (1) analyser des bases de données multi-sources et hétérogènes (photographiques, statistiques et textuelles) ; (2) produire une représentation synchronique et diachronique des discours de la gouvernance des migrations et de son opérationnalisation ;
• Cinq concepts
- Hyper-lieux. Les hyper-lieux (Lussault, 2017) sont des lieux géographiques caractérisés par le fait qu'ils concentrent localement une intensité d'interactions sociales attachées à toutes les échelles de la mondialisation. Ce concept permettra de qualifier les nœuds d'ancrage des parcours migratoires.
- Parcours migratoire. Le migrant partage des itinéraires jalonnés de lieux et évolue dans un ou des collectif-s mais chaque parcours migratoire reste singulier (Robin, Louis, 2019). HYCI vise donc à replacer l’analyse des discours dans les hyper-lieux de la migration, là où le migrant reconfigure et reconsidère son parcours et son projet migratoire.
- Dispositif. Chaque dispositif élabore son système de catégories pertinent selon sa finalité (Dodier et Barbot, 2016). Par la comparaison de ces systèmes catégoriels et des différences de traitement qu’ils produisent, nous interprèterons le hiatus entre les effets discriminants de l’opérationnalisation des politiques migratoires et leurs conséquences sur l’évolution des parcours des migrants.
Intertextualité. L’originalité d’HYCI est de décrire l’intertextualité à travers la mise en place d’un dispositif méthodologique permettant d’observer les discours en circulation, c’est-à-dire l’intertextualité en tant que processus ; il s’agit d’étudier non seulement l’intertextualité d’un discours en particulier, mais aussi l’intertextualité d’un point de vue synchronique et diachronique entre plusieurs discours.
- Intersémioticité. Il s’agit de générer, par apprentissage d’itération, des associations d’éléments du discours et des motifs d’images mobilisés par les catégories d’acteurs, puis de comparer les classifications obtenues avec celles des migrants. L’approche repose sur la reconnaissance d'objets et de motifs dans des images pour un même corpus.
• Quatre Workpackages
WP 1- Intertextualité des discours de la gouvernance des migrations [L.Bacon et M.Veinard]. Il s’agit de combiner une approche synchronique, par la mise en évidence du jeu de relations entre les différentes échelles (internationale, régionale, nationale et locale), et une approche diachronique, au prisme des crises retenues. Cette double considération vise à tester l’hypothèse qui sous-tend ce WP, celle d’une convergence (il)libérale des discours et des politiques de la gouvernance des migrations, et d’en évaluer la portée. L’objectif est d’interroger l’opposition entre les logiques protectrices des droits humains des migrant.es, articulées autour de l’universalité des droits et du principe de non- discrimination, et les logiques sécuritaires renforçant les inégalités entre les catégories de migrant.es. WP 2 - Extraction d’un parcours migratoire enrichi [L.Sais et N.Robin]. L'objectif est d'extraire des itinéraires enrichis à partir de données textuelles, les récits et les biographies migratoires. Le parcours migratoire peut être vu comme un graphe attribué où les nœuds se réfèrent aux lieux et les arcs aux aux segments d'itinéraire entre deux emplacements consécutifs : nœuds et arcs constituant une séquence, considérée comme une étape du parcours migratoire. Les nœuds-attributs nous informent sur les ressources (travail, logement), les contraintes (rafles, rétention) et les divers dangers (mer, groupes criminels) du parcours migratoire. Les arcs sont également annotés par différentes informations (transport, coût, durée). La complexité du parcours migratoire et la diversité des éléments qui le compose pose un réel défi aux techniques de fouille de texte (Text Mining), de traitement automatique du langage naturel (TALN) ou d’apprentissage automatique (Machine Learning). Trois étapes conduiront à l’extraction de cet objet complexe : extraction d’itinéraires, Extraction du parcours migratoire sémantiquement enrichi, Extraction du parcours migratoire
sémantiquement enrichi.
WP 3 - Processus producteurs d’inégalités [V. Petit & F.Piantoni]. On examinera le hiatus entre des catégories produites par les politiques de triage d’une part, et la production discursive des migrants (photographies, récits) d’autre part, ainsi que les effets de ces politiques sur le traitement des corps des migrants et leur psychisme (Petit et Wang, 2019). La méthodologie repose sur l’analyse sémiotique des photographies (Belting, 2011) et sémantique des récits des migrants (littéraires ou spontanés) (Micheli, 2014, Maneri, 2021) qui seront étudiés au prisme des discours politiques et des textes institutionnels. Les chercheurs complèteront les corpus des récits déjà constitués lors de terrains antérieurs dans les hyper-lieux des routes transsahariennes et des Balkans occidentaux1.
WP 4 - Cartographie analytique et Analyse visuelle [V.Barra et M.Hugeux] L’ambition est d’enrichir la réflexion sur les fractures entre les registres de représentation des dynamiques migratoires. Plus précisément, cela inclut (1) la cartographique de parcours migratoires sémantiquement renseignés, en tenant compte de la variabilité des spatialités et des temporalités ainsi que des émotions des migrants (2) la cartographie de l’intertextualité, synchronique et diachronique, des discours étudiés, (3) les représentations graphiques des co-variations/motifs graduels, (4) la visualisation d’images annotées.
L'objectif est de développer des outils d'analyse visuelle, conçus pour aider les chercheurs et les partenaires institutionnels (ANVITA, PASS, EGPAT-France).
Un projet innovant, à vocation internationale
HYCI porte une triple ambition : théorique, méthodologique et empirique. Ce projet propose de nouvelles données sur la période ultra-contemporaine pour une analyse des dynamiques de longue durée qui caractérisent les migrations et ses modes de gestion. Il combine enfin des champs de recherche rarement associés, de l’intelligence artificielle aux SHS, de l’étude des textes juridiques aux corpus iconographiques. En éclairant les régimes d’inégalités qui sous-tendent les transformations en cours, le projet se positionne pleinement dans les perspectives de l’Axe D.7 : Sociétés et territoires en transition de l’appel ANR 2022. Il explore les inégalités à plusieurs échelles, à la fois macro-spatiale dessinées par la reconfiguration de la gouvernance des migrations, micro-sociale en analysant ses effets sur le vécu des migrants, et les effets meso-sociaux de ces inégalités en termes de représentations. Enfin, son ambition est avant tout expérimentale : il s’agit de tester des hypothèses de travail et des outils méthodologiques innovants, conciliant approches quantitatives et qualitatives, à même d’appréhender les transformations en cours de la nouvelle donne migratoire.
Organismes partenaires :
Financeur : ANR